16

Michael Darko. Pike disposait désormais d’un nom, mais il ne savait rien de cet homme et devait absolument combler ce manque. Il était crucial de comprendre l’ennemi avant de l’attaquer – tout comme il était inutile de le localiser sans connaître son fonctionnement et ses besoins.

Lorsque Cole arriva, Yanni était assis sur une chaise du coin-salle à manger, une serviette sanguinolente pressée sur le front. Rina avait eu le temps de s’habiller et s’était rassise à côté du Ruger sur le canapé. Pike se chargea des présentations.

Cole considéra Yanni, puis le pistolet, et enfin Rina. Elle soutint son regard sans ciller, froide et méfiante.

— C’est qui, celui-là ? Encore un ancien policier ?

— Un détective privé. Il est très fort pour retrouver les gens.

— Allons-y, alors. On a perdu assez de temps comme ça.

Cole prit un siège près du canapé pendant que Pike lui résumait ce que lui avait dit Rina sur Darko, le bébé confié à Ana, l’enlèvement, et sa détermination à récupérer son fils. Pendant que Pike évoquait ce dernier aspect de l’affaire, Cole étudia Rina de pied en cap. Elle surprit son regard et tapota le pistolet niché contre sa cuisse.

— Comment s’appelle votre fils ? demanda Cole.

— Petar. Peter.

— Vous avez une photo ?

Pike crut voir une ombre passer sur les traits de Rina, qui se contenta de fixer Cole d’un œil mauvais jusqu’à ce que Yanni lâche quelques mots en serbe.

— En anglais, intervint Pike. Je ne le répéterai plus.

Elle quitta le canapé.

— Oui, j’ai une photo.

Rina se rendit dans la chambre, fouilla dans son sac à main et revint avec la photo d’un bébé souriant, aux cheveux roux clairsemés. À plat ventre sur un tapis vert, il tendait la main vers l’appareil. Pike ne connaissait pas grand-chose aux bébés, mais celui-là ne lui paraissait pas avoir dix mois.

— Je suis partie de chez moi vite, très vite. C’est la seule photo que j’ai de lui. Et je ne vous la donnerai pas.

— On ne dirait pas qu’il a près d’un an, fit Pike.

Elle le foudroya du regard.

— Vous êtes débile, ou quoi ? Maintenant, oui, il a dix mois et trois jours. Sur cette photo, il a six mois, une semaine et un jour. C’est tout ce que j’ai.

Cole se tourna vers Pike en haussant les sourcils.

— Tu n’es pas capable de reconnaître l’âge d’un bébé ?

Pike ne savait pas trop s’il plaisantait ou non. Cole regarda à nouveau la femme avant d’ajouter :

— Je pourrais la scanner sur mon ordinateur et vous la rendre juste après. Ça vous irait ?

Après un instant de réflexion, elle acquiesça.

— Ça m’irait.

Cole empocha la photo et reprit le fil de ses questions.

— Pourquoi avez-vous dû partir très vite de chez vous ?

— Michael allait venir.

— Chercher Peter ?

— Michael m’a dit qu’il le voulait pour lui, j’ai dit non, il a dit : « Ah. » J’ai deviné ce qu’il avait derrière la tête. Me tuer, prendre le bébé, et faire comme si la maman pute n’avait jamais existé.

— Et vous avez caché Peter chez les patrons de votre sœur le temps de vous trouver un point de chute à Seattle.

— Oui.

— Comment Michael a-t-il su où il était ?

— Aucune idée.

— Ana aurait-elle pu l’appeler, par exemple pour essayer d’arrondir les angles entre vous ?

Rina partit d’un rire amer.

— Ana ? Jamais de la vie. Elle avait très peur de ces gens-là. Je la tenais à l’écart.

Cole jeta un coup d’œil perplexe à Pike.

— « Ces gens-là » ?

Yanni reprit la parole et un rapide échange s’ensuivit, incompréhensible. En voyant Pike se mettre debout, Yanni leva les mains.

— Elle veut dire les voleurs, expliqua Yanni. Quand elles sont arrivées en Amérique, Ana était encore petite. Rina l’a toujours tenue à l’écart de ces bandits.

Rina hochait la tête, les yeux plissés. Elle prit le relais dès que Yanni se tut.

— Je ne voulais pas qu’elle devienne pute. Je ne voulais pas qu’elle travaille pour Michael. Je l’ai inscrite à l’école pour qu’elle reste une fille bien, avec des amies normales.

— Vous l’avez protégée, dit Pike.

Le regard de Rina s’échappa vers la fenêtre.

— Pas assez.

Cole s’éclaircit la gorge pour capter son attention.

— Qui savait que le bébé avait été confié à Ana ?

— Personne.

— Yanni le savait, non ?

Yanni releva les mains en secouant la tête.

— Je n’ai rien dit à personne, protesta-t-il. Je passais tout mon temps avec Rina.

Rina eut un geste d’agacement.

— Yanni est réglo. Je ne sais pas comment Michael a fait pour trouver Petar. Je n’arrive pas à comprendre.

— Revenons à Michael, fit Cole. Ce type est votre mari, et vous ne savez pas où il habite ?

— Personne ne le sait. C’est comme ça qu’il vit.

— Pas d’adresse, pas de photos, pas même un numéro de téléphone ?

— Il change de téléphone toutes les semaines. De numéro aussi. Vous voulez que je vous dise quoi ?

Elle se tourna vers Pike, exaspérée, et ajouta :

— Quand est-ce qu’il va se mettre à chercher, lui qui est si fort pour ça ?

— Michael se cache, dit Pike. Ça, on l’a compris. Mais vous en savez plus long sur lui que n’importe qui d’autre ici. On a besoin de renseignements pour pouvoir travailler.

Elle écarta les mains.

— Je ne demande qu’à vous répondre.

— Qui sont ses amis ? interrogea Cole.

— Il n’a pas d’amis.

— Où habite sa famille ?

— En Serbie.

— Les membres de sa famille qui sont ici, je veux dire.

— Il les a tous laissés en Serbie.

— D’accord. Et du côté de vos amies ? Peut-être que l’une d’elles pourra nous aider à localiser Michael.

— Je n’ai pas d’amies. Elles ont toutes peur de lui.

Cole se tourna à nouveau vers Pike.

— Désolé, mec, je n’ai pas le temps de tout noter.

Rina plissa les yeux.

— Le grand détective se paie ma tête ?

Ce fut au tour de Pike de s’éclaircir la gorge.

— Il nous faudrait au moins des noms. Pour qui travaille Michael ? Qui travaille pour lui ? Même si vous ne savez pas qui sont ces gens, vous l’avez forcément entendu citer des noms de temps en temps.

Rina interrogea Yanni des yeux, comme si elle avait besoin d’être guidée. Celui-ci posa un regard inquiet sur Pike : il n’osait plus parler. Pike l’y autorisa d’un hochement de tête. Les deux Serbes eurent alors un bref échange à la limite de la prise de bec, ensuite de quoi l’un et l’autre se mirent à balancer des noms. Des noms difficiles à comprendre et encore plus à orthographier, mais que Cole griffonna tout de même dans son carnet.

Quand ce fut fini, il releva la tête, plein d’espoir.

— Darko a-t-il déjà été arrêté ? Ici, à L. A. ?

— Je ne sais pas. À mon avis, non, mais je ne sais pas. Il est ici depuis bien plus longtemps que moi.

Cole jeta un coup d’œil à Pike.

— Croise les doigts, mec. Je vais me renseigner sur Darko et sur ces autres types, histoire de voir s’ils ont laissé des traces dans le système. Si Darko a déjà eu affaire à la justice, ça pourrait être notre chance. Les seules personnes à qui on ne puisse pas mentir sur son adresse et son patrimoine, ce sont les garants de caution.

Pike avait découvert cette vérité du temps de son passage dans la police. Les criminels mentaient sur tout et à tout le monde. Ils étaient capables de donner un faux nom, une fausse date de naissance et une fausse adresse à la police, à la justice, à leurs complices et même à leurs avocats, mais ils ne pouvaient pas mentir à un garant de caution. Un garant de caution n’avançait jamais d’argent sans disposer de gages concrets, et si le garant n’était pas en mesure d’établir que le demandeur était bien le propriétaire légal de ce qu’il prétendait posséder, celui-ci restait en prison.

Cole posa d’autres questions, mais Rina ne savait pas grand-chose de plus. Darko réglait presque tout en espèces et n’utilisait que des cartes de crédit volées. Il demandait à Rina de payer elle-même ses factures par chèque, à charge pour lui de réapprovisionner ensuite son compte en liquide. Les numéros de téléphone changeaient, les adresses, les quartiers, les véhicules aussi. Cet homme vivait caché, ne laissant aucune trace.

— Comment comptiez-vous le retrouver ? interrogea Pike.

Elle haussa les épaules comme s’il n’existait qu’une seule voie possible et qu’ils auraient dû l’avoir déjà trouvée depuis belle lurette.

— En suivant l’argent.

Cole et Pike échangèrent un regard, puis Cole se tourna vers elle.

— D’où est-ce qu’il tire ses revenus ?

— Du sexe. Des filles. Il a aussi des hommes qui volent les camions…

— Sur la route ? Des camions pleins de télés, de vêtements, ce genre de chose ?

— Oui. Et il en a d’autres qui piratent les cartes de crédit. Et il vend de la mauvaise essence. Et il a des bars, des boîtes à strip-tease.

— Vous savez où ils sont ?

— Certains. Je connais surtout les filles.

Cole leva les yeux de ses notes.

— Vous savez où il loge les filles ?

— Je n’ai pas l’adresse. Je peux vous montrer où c’est.

Cette fois, Cole ne se contenta pas de chercher le regard de Pike : il se leva. Pike le suivit à l’autre bout de la pièce, et Cole lui parla à mi-voix. Rina et Yanni les observaient de loin.

— Tu as trouvé quelque chose chez sa sœur ?

Pike lui dit ce qu’il avait pris : l’ordinateur, l’album scolaire, entre autres. Tout était dans le coffre de la Jeep.

— Tant mieux, dit Cole. Je tiens à vérifier son histoire. Ce n’est pas parce qu’elle nous raconte ça que c’est vrai.

— Je déposerai le tout dans ta voiture en repartant.

— Il faut aussi que je voie ce qu’il y a à trouver sur ce Darko. Si elle ne nous a pas raconté de bobards à son sujet, je connais quelqu’un au LAPD qui devrait pouvoir nous aider.

Pike aussi connaissait quelqu’un, mais pas au LAPD. Il fallait qu’il voie cette personne.

— Je n’aime pas ces messes basses, lança Rina depuis le canapé.

Pike se retourna vers elle.

— Il va vous emmener faire un tour en voiture. Tâchez de lui montrer toutes les adresses liées au business de Darko que vous connaissez, et répondez à ses questions.

— Et vous ? Vous allez où ? Faire quoi ?

— Moi aussi, je vais chercher des réponses à ses questions.

Pike jeta un coup d’œil à Cole avant d’ajouter :

— Ça te va ?

— C’est le rêve.

Pike s’éclipsa.

Règle N°1
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